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   Lhassa - Tahiti - Kersaint

 

14 avril 2010… Me voilà juste débarquée de l’avion à Chengdu, en Chine, venant de Lhassa. Fin du voyage, route du retour. 

Une amie m’a demandé d’allumer mon petit ordinateur, l’endroit où nous sommes ce soir bénéficie d’une connexion Internet, ce qui n’a pas toujours été le cas au long du voyage. Sa mère est souffrante, et elle souhaite pouvoir consulter ses messages pour en trouver des nouvelles. 

En attendant Claude, j’en profite pour jeter un coup d’oeil aux miens. 

Un courriel de mon frère attire mon attention, ayant pour objet : «décès de maman». Je pense alors «pourquoi me parle-t-il de ça, je rentre bientôt, et rien n’est urgent, surtout s’il s’agit d’un problème d’assurance ou autre publicité autour de la mort, maman a bien le temps, quand même, avec la forme qu’elle tient...». Je m’y reprends à plusieurs fois avant d’intégrer la teneur de ce message, mon cerveau se refuse à croire ce que mes yeux décryptent : «maman est morte dans son sommeil la nuit dernière,...» NON, maman est en pleine forme ! A mon départ vers le Tibet, je l’ai eu au téléphone. Elle se réjouissait pour moi, me demandant d’ouvrir grand mes sens pour lui ramener tous les détails de ce pays, qu’elle aurait aimé connaître. Les pas de maman, pourtant grande voyageuse, ne l’ont jamais portée vers Lhassa. 

Et quand Claude entre dans ma chambre, c’est elle qui me trouve en larme, c’est ma mère qui est partie aujourd’hui, sans nous prévenir…

La semaine qui a suivi cette annonce restera gravée à jamais en mon esprit comme une semaine damnée. Je pars avec les amis pour Beijing (Pékin), puis les laisse repartir vers Tahiti, où nous résidons. En attendant mon vol vers la France pour accompagner maman à son dernier voyage, je reste  ici, avec Henri, notre guide.

Et là : autre stupeur, un volcan en Islande s’est réveillé, et son nuage de cendre cloue tous les avions à destination de l’Europe au sol. C’est alors l’infernale attente.

Chaque jour suivant, je me dis : «c’est aujourd’hui que cela va se débloquer». Mais, les jours s’ajoutent aux autres, sans changement. Henri doit repartir vers Xi’an, sa belle ville, et me laisse seule à Pékin, où peu de gens parlent anglais, et où ma connaissance très superficielle du Chinois suffit mal à organiser mon quotidien. 

Le chagrin et la douleur m’accablent. J’aide à préparer à distance, via le Net, la cérémonie avec mes enfants, mon frère et ma soeur, toute la famille. J’enrage quand ils me préviennent que l’on ne peut plus attendre, que les obsèques se doivent d’être célébrés à présent : les pompes funèbres n’acceptent plus de délai. Je décide alors de rentrer sur Papeete, ma demeure en Polynésie, pour retrouver ma fille. Elle non plus n’a pu se rendre auprès de la famille en France pour la même raison que moi. Nous laissons alors à mes deux grands, en Bretagne eux, la tâche lourde de sens de déposer auprès de leur grand-mère nos plus belles pensées…

Voyage galère entre toutes : carte bancaire piratée à Pékin ; je ne rentre pas davantage dans les autres détails d’un trajet surréaliste, vécu dans un état de fatigue physique et moral proche de l’inconscience, suivant heure par heure le déroulement du dernier voyage de maman.

Le sort aura voulu que je ne puisse l’accompagner vers sa dernière demeure... Tout un symbole. Pourtant, nous nous sommes rapprochées depuis que je suis mère : elle a su être l’aïeule idéale pour mes enfants, cela a effacé tant d’années de communications difficiles entre nous. 

Et durant ce voyage au Tibet, attendu, rêvé depuis des d’années, mon esprit a souvent vagabondé vers elle. Elle, seule depuis une grande année : son amour, mon père, épuisé, l’a laissée sur le bord du chemin de la vie. Ils en avaient arpenté ensemble de nombreux sentiers proches et éloignés de leur ancrage breton. Avec eux, leurs trois enfants auront foulé de leurs premiers pas le sol de l’Afrique.

Ce voyage, pour moi, aura été marqué des 1000 signes du destin ! Le Tibet se sera fait désirer... 2 fois qu’il se dérobe au dernier moment, et ne me laisse entrer. Il y a deux ans, la frontière s’est fermée juste à notre nez, et Henri, notre guide déjà, nous a alors menés, frustrés et en colère, sur les hauts plateaux tibétains, côté chinois. Mais ceci est une autre histoire.

Cette année, le Tibet s’est laissé enfin approcher. Dans l’avion qui nous y mène, je lis «l’Enigme du retour», de Dany Laferrière, et mon esprit vogue de son père au mien, du mien à ma mère, justement. L’émotion me fera oublier ce beau livre à l’arrivée ! J’imagine cet ouvrage continuant son bonhomme de chemin sur la terre des idéogrammes, étonnant celui qui comprendra -qui sait- que Britt (c’est ce que j’inscris sur les livres que j’aime, en page de garde, avant de les faire circuler), une bretonne la tête dans les nuages, trouvait refuge ici dans la lecture d’un écrivain canadien d'origine haïtienne… Quelques mois plus tard, l’auteur, retrouvé à Saint-Malo, lors du festival «Etonnants Voyageurs», m’en dédicacera un nouvel exemplaire, dont je pourrai enfin achever la lecture !

Etrangement, maman aura été au plus près de mes pensées tout au long de ce voyage. J’ai déposé mes « loungta » -chevaux du vent- au plus haut de notre ascension : au bord du glacier Kharola, à 5560 m. Et l’image de maman s’est imposée aux autres ce jour-là, sans que je comprenne pourquoi. 

A notre atterrissage en Chine, au jour funeste de sa mort, nous apprenons qu’au moment même de notre décollage (heure probable de son décès), la terre a tremblé violemment au Tibet, faisant victimes et dégâts ! Nous aurons été épargnés, élevés à ce moment-là juste au dessus de Lhassa…

A Tahiti, terre profondément religieuse, mes collègues de travail ont organisé une cérémonie belle et gaie pour maman, toute en fleurs et en musique ; avec ma fille et un de mes neveux, nous nous y sommes recueillis, maman au coeur, dans l’odeur intense des fleurs de tiare. 

Quelques semaines ont passé avant que je ne foule à nouveau le sol de la Bretagne, et mon fils, en un pèlerinage empli d’émotion, a conduit mes pas à l’endroit où les cendres ont été dispersées. 

La vie suit son cours, parfois fort sinueux et tempêtueux, souvent d’une beauté à couper le souffle. Les êtres chers s’en vont, d’autres petits êtres, oh combien chers eux aussi, s’en viennent… Je pense souvent au bonheur qu’ils auraient goûté, papa et maman, d’entendre la génération nouvelle emplir l’espace ensoleillé de son rire contagieux.

Je ne suis pas de nature à croire aux signes, pourtant, bercée j’ai été à l’orée des croyances bretonnes, elles, profondément ancrées au Sacré. Mais je pense souvent à ces jours d’exemption passés sur le toit du monde, faits de rencontres, belles, de petits et grands bonheurs glanés à une nature austère et pure, d’espaces au delà de l’humain, de méditations simples et sacrées…

Le deuil, difficile, a pu y trouver sa place, le souvenir du Tibet sait encore m’apaiser… 

 

 

Britt. Kersaint, Clamart, janvier/mars 2014

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